only a crack in this castle of glass - Eliott

Pensez-vous être quelqu'un de bien ? : Eliott n'est pas vraiment le type de personne à faire du mal aux autres, du moins volontairement. Même involontairement, d'ailleurs ; après l'avoir compris, il culpabiliserait bien trop. Donc, franchement pas quelqu'un de mauvais. En revanche, quelqu'un de bien ? Toujours aussi peu volontairement, mais oui, sûrement. Une mamie qui demande de l'aide, quelqu'un qui demande une pièce, un pote qui part en vacances et n'a personne pour nourrir ses trois poissons rouges ? Il suffit de donner deux arguments ou d'avoir l'air embêté, et c'est bon. Vous avez l'aide d'Eliott. Ta dernière bonne action ? : Là, tout de suite, c'est probablement d'avoir pris la peine de nettoyer la cuisine après son dernier passage. Ne riez pas, c'est un exploit. Hormis ça, il a aidé la petite voisine à monter ses quatre tonnes de courses jusqu'au cinquième étage l'avant-veille. Il a encore des courbatures, mais au moins, elle ne s'est pas brisé le dos. Tes plus gros pêchés ? : Oublier la fête des mères ? Allez, non. Il a probablement séché de temps en temps, à la fac plus qu'au lycée. Il a déjà conduit en ayant un peu bu – pas trop non plus, il n'est pas suffisamment téméraire pour ça. Il a déjà dû se faire embarquer dans deux trois histoires pas géniales. Normal, 'y a pas plus influençable que lui. Et surtout, il ne pardonne pas. Il peut supporter beaucoup de choses, Eliott, mais une fois que vous avez passé la limite, c'est mort, il a trop mal. Il ne pardonne plus. Même si vous aviez toutes les bonnes raisons du monde.

I'm a dreamer, a make believer
I was told that you were, too
I love the silence and the clear horizon
And I got that all from you

Un peu de fumée dans la pièce, une odeur de tomates et de viande hachée, des accords de guitare électrique et pas mal de batterie en musique de fond pendant qu'on entend le grésillement des oignons et du steak sur les plaques de cuisson. Eliott remue la sauce béchamel au rythme de la musique, ce qui n'aide pas vraiment son tablier à rester propre puisqu'une ou deux tâches apparaissent bientôt. Mais bon, à l'origine vert pâle, il a été si souvent tâché que l'étudiant ne fait plus du tout attention. Hop, la sauce a l'air suffisamment épaisse, il soulève la casserole et la verse délicatement sur le mélange d'oignons-steak-tomate qui formera la sauce de leurs lasagnes. Heureusement que la poêle a des bords suffisamment élevés, parce qu'il ne fait pas très attention en faisant couler le tout. Ça y est, il n'a plus qu'à remuer encore un peu et à déposer les pâtes et la sauce en alternance dans le plat, puis à mettre au four.
Il chantonne, il mélange lentement, il est complètement absent au reste des choses. Héloïse rentre bientôt, s'il se souvient de ce qu'elle lui a dit. Il espère qu'elle sera de bonne humeur, parce qu'il sait bien que ça ne va pas durer – il a encore mis un gros bordel dans la cuisine. Et quand il pense encore, c'est, disons, la troisième fois de la semaine. Sachant qu'il est jeudi, c'est assez pénible pour sa coloc'. Mais elle est sympa, Helo. Ça devrait aller. Depuis le temps qu'ils sont colocataires, elle le connaît, elle s'est habituée. Enfin, il suppose.
Il se tourne vers la table pour déposer la première couche de sauce. Mince, il n'a pas posé le plat. Toutes ses feuilles de cours se sont d'ailleurs étalées dessus, dont quelques unes présentant pas mal de tâches de sauce tomate. Super. Il les empile rapidement, pose le plat sur la table, renverse une couche de sauce, dispose les pâtes... Les lasagnes, il en fait très souvent. Presque aussi souvent que des gâteaux. C'est un miracle qu'ils ne deviennent pas tous obèses, dans cette colocation. Enfin, 'tous'... Héloïse et lui, quoi. ils sont censés être trois, mais les précédents candidats pour leur dernière place vacante étaient aussi boiteux les uns que les autres. Un gars qui présentait tous les signaux d'un bon vieux macho – mauvais, avec Héloïse. Puis une fille hyper-organisée et maniaque. Toujours aussi mauvais signe. En bref, ils sont deux à partager un appartement pour trois.

Every now and then I'm drawn to places
Where I hear your voice or see your face
And every little thought will lead me right back to you

Eliott ferme le four avec un grand sourire et enlève son tablier. C'est bon, ça devrait être prêt quand Héloïse arrivera. Il a pris l'habitude de cuisiner, déjà parce qu'il adore ça, ensuite parce qu'il le fait bien, et enfin parce qu'il est hors de question qu'il laisse l'étudiante trop toucher aux fourneaux. Il a déjà fait plusieurs fois l'erreur. Bon, d'accord, il exagère un peu... enfin, quoique. Au début, deux ans plus tôt, il n'osait pas lui proposer de la remplacer lorsqu'elle décidait de cuisiner quelque chose, même s'il savait très bien qu'il allait le regretter. Mais ils s'étaient rapidement entendus, et ce genre de détails avait été vite réglé. Maintenant, Eliott la considérait comme l'une de ses meilleures amies, voire une sorte de grande sœur puisqu'ils vivaient plus ou moins ensemble.
Lors de sa première année à l'université, Eliott s'était retrouvé dans cette colocation avec deux autres étudiants bien plus âgés qui étaient donc partis à la fin de l'année. Héloïse s'était ensuite incrustée. Elle avait une année de plus, mais deux ans de retard scolaire, apparemment, puisqu'elle entrait tout juste à l'université. Et les voilà, deux ans après.
Il se penche sur ses cours avec une grimace. Bon, il suppose qu'il va devoir les rattraper auprès de quelqu'un d'autre. Super, il y a passé près d'une heure et demi et maintenant, ils sont recouverts de sauce. Il soupire, essaie de trier les quelques pages encore relativement propres, abandonne en remarquant que les empiler n'a fait qu'aggraver les choses. Elles sont toutes bonnes à la corbeille. Heureusement qu'il ne fait pas des études de lettres comme sa colocataire, il aurait pété un plomb, de perdre une huitaine de feuilles en préparant un repas. Ce ne sont que quelques calculs – comme il écrit très gros, en prenant beaucoup de place, il sait qu'il ne mettra pas non plus la soirée entière à recommencer. Surtout qu'il a encore quelques souvenirs des résultats. Il se dirige vers sa chambre, oubliant de passer un coup d'éponge sur la table, cherchant sa poubelle. Honnêtement, s'il fait des études de mathématiques et physique, ce n'est pas parce que les lettres ne l'intéressent pas – franchement, il adore l'histoire et la géo – mais plutôt parce qu'il ne pourrait jamais réussir dedans. Plus d'une dizaine de fautes d'orthographe par phrases, ça brise un peu toutes chances de réussir dans ce genre de domaine. Même en prévenant les profs de sa dysorthographie.

I was born from one love of two hearts
We were nine kids and a loving mum

Sa chambre est en bazard – pas très étonnant. Il cherche un peu, à droite, à gauche, ne trouve aucune corbeille à papier ou aucune poubelle. Il se fraye un chemin vers son bureau, ouvre un tiroir qu'il sait remplit à ras bord de feuilles de brouillon en tout genre à jeter. Le tiroir est si plein qu'il a du mal à le tirer. Il essaie d'un coup sec, et la moitié s'envole pour s'entasser un peu partout dans sa chambre. Double-bordel. Il rangera sûrement ce week-end. S'il y pense. S'il a l'énergie. S'il en est capable sans ajouter au contraire des affaires partout. Il devrait peut-être aussi se procurer une clef, pour éviter une potentielle apoplexie à Héloïse si elle aperçoit l'état de la pièce en passant dans le couloir.
Il pose les feuilles tâchées sur une parcelle étonnamment libre de son bureau et s'apprête à retourner dans la cuisine faire un brin de ménage – ou un gâteau – lorsqu'il reconnaît l'un des papiers à jeter étant tombé sur le sol. Un papier, ou plutôt une lettre. Pas le genre de lettre qu'on garde en souvenir, plutôt de celles qui tordent le cœur quand on les retrouve, et qu'on a hésité à brûler, ou à déchirer – mais sur lesquelles on retombe finalement des années plus tard. Il se penche, attrape le petit rectangle de papier bleu entre ses doigts, s'assied doucement sur sa chaise de bureau et le fixant.

You made this place a home
A shelter from the storm

Il n'ose pas le déplier, il veut le déplier, il est devenu sourd à tout le reste. Plus de musique, plus de batterie, plus de guitare électrique, juste le sang battant à ses oreilles et à ses tempes comme un bourdonnement, seul bruit qui le sépare du silence. Le silence. Eliott déteste les silences, et ce simple morceau de papier en est l'incarnation. Il ne se souvient pas exactement de quand il a rédigé ce mot, ni où, ni ce qu'il a marqué dedans – et il n'ose pas l'ouvrir pour le lire. En revanche, il sait pourquoi il l'a écrit. Pour qui, plutôt.

You said I had one life and a true heart
I tried my best and I came so far

Il hésite, il tergiverse, il ne sait pas. Il n'a jamais su grand-chose, hein ? Ses doigts tremblent, la lettre avec. Il n'ose pas la déplier, il ne sait même pas s'il en a envie ou s'il veut tout rayer de sa mémoire. Pourquoi est-ce qu'il tombe sur ça là, maintenant ? C'est l'une des raisons pour lesquelles il est parti en colocation ; pourquoi est-ce que c'est dans ses affaires ? Pourquoi est-ce qu'il n'a pas jeté tous ces mots ? Pourquoi est-ce que ses parents ne les ont jamais envoyés ? Pourquoi est-ce que sa sœur ne lui a jamais répondu ? Non, arrête de penser à ça.
Mais c'est trop tard, maintenant. Il laisse passer une expiration tremblante, il ouvre le papier, il lit tout ce qui y est écrit. Ses propres phrases, ses propres lettres, le tout très mal orthographié, et pas seulement parce qu'il est dysorthographique, non, mais parce qu'il avait huit ans au moment de les rédiger. Ses yeux dévalent le papier comme une luge sur une piste de ski, comme une goutte d'eau dans une cascade. Comme une larme sur la joue. C'est une simple lettre adressée à sa grande sœur, lui demandant pourquoi elle ne vient plus à la maison, pourquoi elle ne lui répond pas, si elle va bien, quand est-ce qu'elle leur rendra visite, ce genre de choses. Un petit mot douloureux, naïf et innocent, qui lui serre la gorge.
Il referme le papier, déglutit, lève les yeux vers le plafond pour se calmer et s'apprête à le déchirer. Il se fige. Trente secondes d'hésitations, les mains crispées, puis il balance la lettre loin. Impossible de l'abîmer. Il n'en a pas le courage.

But you will never know

Quand il avait entre sept et huit ans, la plus grande de ses sœurs, Jem, a disparu. Lui n'a pas compris. S'il aimait tout le monde dans sa famille, c'était presque sa préférée, celle avec qui il s'entendait le mieux. Elle avait dix-huit ans, à ce moment là. Et comme ça, pouf, plus de grande sœur. Il en a posé, des questions, il a essayé de comprendre. Mais comment expliquer à un gosse qu'on a viré son héroïne de la maison pour avoir fricoté avec un homme marié ? Comment dire à un Eliott tout jeune, les yeux grand ouverts et attentif, que non, elle ne reviendra pas, qu'elle n'a pas intérêt à revenir ?
Il a essayé de la contacter, il a essayé de comprendre, il a écrit des mots, des lettres, avec vingt fautes tous les mots, il a donné ces mots à ses parents, il a cru qu'ils les avaient postés, il a attendu une réponse. Il n'a jamais eu de réponse. Quand il a compris ce qui s'était passé, il en a voulu à tout le monde. Ses parents de n'avoir pas posté ses lettres et d'avoir viré Jem. Même si eux étaient – et sont encore – très religieux, lui n'y a jamais vraiment cru, et n'aura jamais compris leur décision. Virer un enfant de chez eux sans hésitations ? Non.
Il en a voulu à ses autres frères et sœurs plus âgés, de ne pas lui avoir expliqué non plus. Et surtout, il en a voulu à Jem. Lui n'avait que huit ans, c'était compliqué d'essayer de la contacter. Mais elle a disparu de sa vie du jour au lendemain, et il n'a jamais eu de nouvelles. Ça faisait mal. Ça fait toujours mal. Elle n'a jamais essayé de revenir, de leur parler, jamais. Elle ne l'a pas vu grandir, elle n'a plus jamais été là. Il lui en veut encore.

'Cause you let me walk this road alone.

Plus on aime les gens, plus on peut avoir mal. Et découvrir tout ça lui a trop tordu le cœur pour ne pas en vouloir à sa famille sur la durée. Il est parti en colocation dès son entrée à l'université, s'éloigner de tout ça. Et ça fait du bien, énormément de bien. Il se débrouille seul – enfin, plus ou moins -, il suit en cours, il s'entend très bien avec sa coloc'. Il évite de trop penser à ses frères et sœurs, ses parents. Il leur parle, évidemment, de temps en temps – il ne veut abandonner personne, lui – et pareil pour le reste de la fratrie ; il les aime, vraiment, mais il évite de trop les voir. Il met toujours du temps à pardonner. Quand il pardonne.

My childhood hero will always be you
And no one else comes close
I thought you'd lead me when life's misleading

Eliott soupire longuement, se redresse en s'étirant pour dénouer l'espèce de boule qui s'est formée dans son estomac, puis sort de sa chambre, retournant dans la cuisine. Il monte le son. La guitare est forte, la batterie encore plus. Toute la cuisine est à ranger. Il balaye la pièce des yeux en essayant de trouver de quoi se changer les idées, de quoi rendre ses yeux plus secs et desserrer sa gorge, et il tombe sur un bouquin de recettes, ouvert à la page d'un fondant pommes-chocolat. Parfait. Héloïse ne sera pas trop en colère, comme ça – et puis, un peu plus de bordel, un peu moins... Il époussette son tablier, qu'il avait oublié d'enlever, puis se met à chercher les bons ingrédients. L'odeur du chocolat lui monte à la tête, et il sourit à nouveau.

That's when I miss you most.

ANECDOTES //
bon cuisiner donc • surtout pour tout ce qui est pâtisseries • au grand bonheur de sa coloc' • a toujours rêvé d'avoir un chien • ne tient absolument pas l'alcool • s'est fait embobiner il y a trois mois pour s'inscrire dans une salle de sport afin de 'perdre du poids' • sauf qu'il grossit très difficilement • actuellement toujours en train d'hésiter entre se désinscrire ou y aller • adore le vélo • adore les balades • adore chanter • chante partout, sous la douche, sur son vélo, au bord de la plage, p a r t o u t • le problème étant qu'il chante vraiment très mal • a son permis moto • n'a pas de moto • connaît tous les numéros de téléphone de ses contacts par cœur • il les apprend durant l'un de ses cours • ça l'aide à rester éveillé, le prof étant un somnifère humain • a toujours voulu apprendre à faire de la batterie • traîne de temps en temps dans des boutiques & magasins d'instruments de musique • ce n'est probablement qu'une question de temps avant qu'il se fasse harponner par un vendeur donc • après, est-ce que ce sera pour une batterie ou est-ce qu'il se fera avoir et achètera une trompette, on n'en sait rien • est-ce qu'une batterie peut même rentrer dans l'appartement, d'ailleurs ? • adore les films et séries • supporte même quand les gens parlent devant • trouillard devant les films d'horreur • surtout les screamers • adore essayer plein d'activités différentes • peut-être que ça joue dans le fait qu'il se fait trop souvent avoir • écoute surtout du rock