BREATHLESS

Pensez-vous être quelqu'un de bien ? : fantasque créature qui flirte avec les vices, danse au bord du précipice mais rêve quand même de justice. Ta dernière bonne action ? : laisser sa place à une grand-mère dans les transports. Tes plus gros pêchés ? : la stature masculine, les courbes féminines, les glaçons imbibés de whisky, la poudre blanche qui fulmine ses narines, la nicotine, la chirurgie.

kiss from a rose

Papa offre de beaux crayons et du papier coloré, « Je veux que tu ailles dans ta chambre et que tu me fasses le plus somptueux des dessins ». Nena s'empresse, maman vacille. Ses mains se cramponnent à la table. Elle sait. L'allemand, immense, s'avance. Babines retroussées et haine dans les prunelles, Dieu sait qu'il voudrait la briser. « Petite pute d'Américaine ». Première claque, elle couine à peine. « Tu n'as pas mal ? » La patte dans la crinière brune de l'épouse qu'il traîne contre le parquet, ses chaussures de villes qui se creusent dans ses côtes et les coups de ceinture le long de son dos. Elle supplie enfin. Le mâle s'excite, grogne. Si belle quand elle est si faible. Les coups cessent, il se vide sur elle, misérable. Raclement de gorge et cigarette au coin des lèvres, il lui ordonne de se relever maintenant souillée. L'index qui pointe la salle de bain, elle y déplace sa carcasse. L'homme pose la clope au coin du vieux cendrier, accorde intérêt à sa gamine qui tambourine depuis de vaines minutes. La porte se déverrouille, l'enfant s'agite. Elle a entendu sa chère maman. Papa parfait ne tressaille pas. « Tu sais qu'elle est très maladroite. Elle a fait une très mauvaise chute dans les escaliers, elle a cru qu'elle s'était cassé quelque chose. Nous étions très inquiets, au final c'est plus de peur que de mal et elle est partie prendre un bain pour se relaxer un peu. » Doux sourire. « Et ce dessin alors ? »

***

Cette lèvre trop fine. Ce nez grossier. Ces pommettes sans rebond. Ce regard sans éclat. Ce corps sans harmonie. Ces hanches trop larges. La fossette au menton qu'elle déteste tant. Nauséeuse confrontée à son reflet, envieuse de ce que sont les autres. Elle les observe, les détaille. Adolescente déjà complexée, prête à se charcuter. C'est l'agonie dans son cœur. Maman l'amène voir un psychiatre, c'est le début d'un grand amour. Les antidépresseurs, petits bonbons à qui elle voue une dévotion fusionnelle. Elle use et abuse, déçoit ceux qu'elle aime tant. Papa a la main qui démange, c'est maman qui prendra. Jamais sa Nena. La nuit tombe, le soir de trop. Maman est morte. « Chute contre une table après une prise trop importante d'alcool ». Verdict satisfaisant pour l'Allemand aux mains sales. La gamine s'écroule, chute abyssale. Noyée dans les larmes, aveuglée par son bon papa. Maman n'est plus là, le monde est noir.

***

L'appartement vide qui sent encore son parfum, elle s'avance vers l'unique étagère. L'anneau posé sur un vulgaire morceau de papier, elle sait déjà que c'est la fin. « Ce n'est pas toi c'est moi ». Sa gorge se coince, ses muscles se contractent. Les lèvres tremblantes, ses yeux ruissellent. Elle lâche un rire, nerveuse. Son cœur s’émiette. Elle parcourt les pièces, constate la réalité, s'essouffle. Ses poings frappent les murs, ses pieds tapent au sol. Son corps périclite, elle se recroqueville. Chuchotements inaudibles, respiration tourmentée. L'esprit plonge dans l'angoisse. Ils s'étaient dit oui. Pour le meilleur et pour le pire. Il devait être l'homme de sa vie. Lui. Seulement lui. Le voilà parti.