save tonight (caïro)

t'étais de garde de 24 heures aujourd'hui. tu avais commencé en début de soirée et tu étais déjà rempli de dossiers. y'avait des soirs comme ça où les patients s'enchaînaient aussi vite que tu enchaînais les coups d'un soir. tu l'aimais ton métier. tu aimais pouvoir aider les autres. apaiser leur peine et les rassurer. et puis, voir les patients allaient mieux et repartir avec le sourire. c'était ça le bon côté. celui que tu préférais. et puis, il y avait le côté sombre. celui qu'aucun des personnels soignants n'aimaient. et pourtant, ça faisait partie de ton travail. il y a la vie. et il y a la mort. tu détestais être impuissant face à une situation grave. mais, tu t'y avais fait. on ne s'habitue jamais, pourtant tu dois faire avec et continues à faire ton travail comme tu l'as toujours fait.

c'est dans cet état d'esprit que tu franchis la prochaine chambre. jamie foster. c'est ton petit patient pour aujourd'hui. t'as le nez plongé dans son dossier en même temps que tu avances vers son lit. les enfants. c'était des patients compliqués. ça te touchait toujours de voir leur petits corps dans un lit d'hôpital. t'adores les enfants. t'arrives toujours à les mettre à l'aise. petit bonhomme de trois ans, haut comme trois pommes. « ben alors mon pote, t'as fait des frayeurs à ta maman. » tu lui décrochas un sourire. avant de poser ton regard sur la maman affolée afin de la rassurer.  « bonjour, je suis caïro, l'infirmier en charge de ce petit bonhomme. » et puis, tu bloquas net. ce regard, ce visage. tu ne le connaissais que trop bien. flashback deux ans en arrière. elle était debout, sur ses deux jambes. mais, toi tu te rappelais d'elle par terre à hurler de douleurs. « nora... » tu te rappelais de son prénom. elle te hantait jour et nuit. celle que tu as failli tuer. tu étais complètement chamboulé. qu'est-ce qu'elle pouvait bien faire là, dans la chambre de ce petit marmot. « c'est ton ...? » en fait, tu ne savais pas très bien. tu n'osais pas imaginer le pire. ça ne pouvait pas être vrai.

t'étais aussi blanc que ta chemise. t'avais le myocarde qui battait à cent. l'estomac qui s'nouait. une céphalée à te claquer la tête dans l'mur. et les nerfs prêts à en débattre. ta peur la plus grande. tes cauchemars. ce jour qui te hante tant. tout était devant toi en une seule personne. un petit bout de femme. la maman de ton patient. t'étais loin de la vérité. loin de savoir que t'aurais pu le rendre orphelin. comme tu l'as été à tes trois ans. l'âge qu'il a actuellement. et si tu l'avais tué. t'aurais pu faire toutes les années de prison possibles. t'aurais jamais pu remplacer sa maman. on en a qu'une. tu n'es que trop bien placé pour le savoir. t'en souffres encore aujourd'hui. t'as les jambes qui te portent plus. première fois. première fois que tu t’assois sur le siège. de l'autre côté du lit. jamie qui vous sépare. témoin de la tension qu'il y a entre vous. « désolé, je... je ne savais pas. » perturbé. toi qui a l'habitude de tout maîtriser. t'es pourvu de toutes tes capacités.

tu replonges ton regard sur l'dossier. comme si ça allait te sauver de cette situation. tu pouvais pas rêver pire. t'aurais du accepter de surveiller les excréments du gosse d'à côté à la recherche d'une pièce qu'il avait expulsé. t'aurais préféré avoir les mains dans la merde. plutôt que de l'être entièrement.  « tu... vous n'avez plus à vous inquiéter. c'est un battant ce petit bonhomme. » tu poses ta main sur la tête de jamie. et puis, tu te relèves. tu reprends tes esprits. t'es un infirmier merde. c'est ton boulot. et ton professionnalisme doit reprendre le dessus. tu prends les constantes de jamie. pour surveiller. voir qu'il va mieux. un long silence s'installe. tu ne sais pas quoi dire. et puis, tu le romps. « par contre, il a perdu pas mal de poids. du coup, il va rester un peu en observation, le temps que sa courbe remonte. »

tu mets tes mains dans tes poches et en sors une petite voiture. tu la tend à jamie. l'pauvre gamin qui doit pas comprendre c'qui lui arrive. « tiens, mon petit pote. c'est pour toi, c'est cadeau. » tu vois ton sourire et ça te suffit. tu sais qu'c'est toi qui va le suivre le temps de son hospitalisation. va falloir que tu continues à la voir. nora. cette femme si agréable au regard. « vous devriez vous reposer, dormir un peu. vous avez une sale tête. » t'as peur qu'elle le prenne mal. t'as peur de tous les mots que tu sors. « enfin, vous avez pas du dormir beaucoup ces dernières heures. mais, vous pouvez être apaisés. » t'as l'habitude de voir les parents en total désespoir. mais, à ce moment-là, t'es touché. en plein cœur. peut-être parce que c'est elle. peut-être parce que tu te sens responsable d'elle au fond.

nouveau coup de couteau en plein coeur. nora évoque directement votre rencontre. ce morceau de tôle qui l'a tapé. le bruit. puis, l'état de stress qui t'avais envahi le corps. tu la comprends. elle t'en veux encore. c'est normal après tout. c'est pas quelque chose qui s'oublie en une nuit. mais, t'avais déjà tout fait. t'étais à son chevet après l'accident. tu lui as offert des fleurs. des chocolats. tu lui as fait tes excuses. un nombre incalculable de fois. t'espérais juste qu'elle te pardonne. mais, ça n'a jamais marché. alors, t'as abandonné. malgré le fait que tu t'en veux encore aujourd'hui. et peut-être qu'au final, c'est toi qui devrait te pardonner.

quand tu lui annonces le maintien à l'hôpital, elle réagit directement. demandant la nécessité de cette décision.tu peux comprendre. mais, tu ne réagis qu'en baissant le regard. tu le fais aussi de nouveau quand elle refuse de se reposer. et pourtant, tu sais qu'elle en a besoin. tu en as vu tellement des parents épuisés qui ont fini aussi avec une perf dans le bras pour réussir à tenir debout. tu ne veux pas que ça lui arrive. il faut qu'elle se repose. maintenant que son fils est sous de bonnes mains, elle pourrait se le permettre.

et puis, elle te propose de se voir en dehors de la chambre. hors de la vue de jamie. te retrouver seul face à elle. sans personne pour être entre vous. professionnalisme. ce mot résonne dans ton crâne. tu te le répètes encore et encore. tu termines les derniers petits examens auprès de jamie et puis, tu te diriges vers la porte. « allons-y. » tu sens qu'elle te suit. tu n'as pas besoin de te retourner pour la sentir derrière toi. la sensation est bizarre. tu n'as jamais ressenti ça. t'as les mains moites. comme si tu te retrouvais à ton premier rendez-vous galant. mais là, c'était dans un autre contexte. c'était tout autre chose. mais, tu te retrouvais face au regard perçant de nora. face à ses yeux marrons hypnotisants. « je vous écoute, dites-moi. je sens que quelque chose ne va pas. » hormis que t'as failli la tuer. hormis que son fils lui a fait sûrement la plus grosse frayeur de sa vie. hormis qu'elle devait maintenant t'accepter pour soigner son fils. y'avait autre chose. t'en étais persuadé.