a friendly word with you. | ft. carter

Jeudi matin, jour de marché. C'est le jour que j'aime le plus dans la semaine. C'est le jour où l'activité bat son plein, où les commerçants sont dans l'effervescence et les passants s'émerveillent devant les étales et les produits frais. Le boulanger, le charcutier, la fleuriste, et tous les autres artisans de la ville se rassemblent pour proposer leurs articles et produits en plein air.
Et moi dans tout ça? Comme de temps à autre j'aide les différents commerçants contre une petite rémunération, certains ont besoin de bras pour la mise en place tôt le matin. Ce matin c'est la fleuriste qui avait besoin de moi pour transporter les fleurs, les bouquets, les plantes en pots depuis son échoppe jusque sur la place. Trop heureux de pouvoir me rendre utile, je suis plutôt connu dans le coin pour participer aux activités, la gérante m'a interpelé la veille pour connaître mes disponibilités sur les jours à venir et si j'étais intéressé de me faire un peu d'argent en fonction du succès de ses ventes. Je ne dis jamais non à un petit revenu, surtout en ce moment. Après tout, Randy fait énormément pour moi tous les jours, je dois bien m'occuper de moi aussi autant que possible.

Il est maintenant midi passé et le marché est comble. Je m'octroie cinq minutes de pause et préviens la fleuriste que je vais fumer une cigarette un peu plus loin mais que je reviens vite. Je fouille dans la poche de ma veste en cuir et j'en tire un paquet presque vide de Philip Morris. J'attrape une vicieuse tige entre deux doigts et la porte à mes lèvres. Là je l'allume et aspire goulûment une longue bouffée de cet air filtré par le poison. J'en ressens un bien fou paradoxalement. Mais ça c'est pareil pour tous les addicts en fait. Mon esprit divague et se perd dans le fond d'une bouteille de bourbon dix ans d'âge quand je reviens soudainement à moi. En approche, une silhouette que j'identifie comme une fraîche connaissance. Un des piliers de cette communauté, Carter Whitmore. Le bonhomme s'avance un petit sourire en coin qui fait son charme et je lui fais un signe de main comme notifier que j'ai attesté de son arrivée. « Hey Carter. Comment vas', aujourd'hui? » terminé-je e lui tendant la main pour un salut amical.

C’est le matin. Il est encore tôt, l’air qui caresse le visage est encore frais. Le printemps montre le bout de son nez c’est vrai. Les cerisiers fleurissent. On peut remarquer certains regards embrumés, marqués par les premières attaques de pollen de la saison. Carter Whitmore est déjà debout, comme de nombreuses personnes destinées à travailler aujourd’hui. Il ne déroge pas à la règle. Il a cependant ce petit sourire de vainqueur. Il a passé une jolie nuit. Il a traîné et a fini la soirée avec une jolie demoiselle. Belle comme un coeur et très peu farouche. Tout ce dont un homme Carter a besoin pour sourire. Il a beaucoup de choses à faire mais dans un premier temps, il doit regagner son appartement. Prendre une bonne douche et changer de vêtements. Les siens sont légèrement froissés et sentent le tabac froid. Comme chaque jeudi matin, les marchands vantent leurs produits sur les étalages. C’est agréable. Carter prend rarement le temps pour des petites courses comme ça. En général il passe à la supérette pour prendre l’essentiel. Mais de temps en temps il se laisse aller. Carter est un vrai cordon bleu. Oui, il adore cuisiner. C’est une activité qui le détend. Il aime se faire plaisir avec des saveurs qui le stimulent. C’est aussi une activité de partage. Cuisiner avec ou pour quelqu’un c’est toujours agréable. Il est du genre à râler quand il a quelqu’un dans ses pattes mais en vrai il trouve ça sympa. Il a toujours fait des petits plats à ses filles notamment. Des grands moments. Il les revoit avec de la farine sur le bout de leurs nez. Tout en marchant, sure de lui. Pas complètement pressé. Il sourit en voyant un visage qu’il connait depuis peu. Les rock stars commencent tôt … dit-il d’un petit ton sarcastique mais sans jugement en apercevant la bouteille. Soit il commence vraiment tôt, soit en fait il ne s’est pas couché. Carter hausse les épaules, il n’attend pas de réponse à cette phrase. Je peux t’en prendre une ? Oui, Carter demande une clope. Ce n’est pas un gros fumeur, ce n’est pas le plus addict. Mais par moment il se délecte de cette fumée qui vient s’emparer de ses poumons. Que fais-tu si tôt ? Demande t’il cette fois sérieux et désireux d’avoir une réponse.

Le bonhomme vient de poster à côté de moi. Et il lâche une remarque que j'identifie comme de l'humour mais son regard se pose sur une bouteille qui n'est pas à moi. Je le corrige sur l'instant un peu agacé qu'on puisse s'imaginer que je boive à cette heure-ci. « Ce n'est pas à moi. » Simple et sèche, ma remarque un peu cinglante me fait mal à moi-même. « Excuses-moi j-... Je ne bois plus... » Bref.
Je lui tends le paquet de cigarette pour qu'il puisse se servir et lorsqu'il porte la tige à ses lèvres, j'approche la flamme de mon briquet chalumeau pour qu'il puisse l'allumer. Je tire une belle taffe à mon tour sur l'objet du malin et relâche la fumée dans les airs grossièrement. La brise qui souffle à cette heure emporte rapidement les résidus nauséabonds qui flottent au dessus d'eux.
Mon nouvel ami s'enquière de savoir ce que je fais si tôt par ici. Il est vrai que je ne suis pas installé en ville depuis bien longtemps et il est en droit de se demander ce que je fais à une heure pareille. C'est avec un petit sourire gêné que je lui réponds sans oser le regarder. « J'aide. De temps en temps je fais des... extras, si on veut. Au bar, pour le boulanger et aujourd'hui c'est la fleuriste qui avait besoin de bras pour installer ses étales. Alors comme j'ai rien à faire de ma vie ces derniers temps, je bosse comme je peux. Bref, tu vois l'genre... » terminé-je un peu dépité de constater moi-même de la médiocrité de ma vie. Là je relève la tête et demande à mon tour ce qu'il pouvait bien faire à cette heure-ci. « Mais et toi Carter, tu fais quoi à cette heure? Tu vas déjà bosser? » Je jette un œil à ma douce patronne du jour voir si elle aurait besoin de moi dans l'instant, mais tout semble bien aller.

Je me rends bien compte que j'ai un peu surpris Carter par ma réponse froide. Ce petit air sur son visage en dit long. Mais il s'excuse et tout aussi rapidement que m'est montée au nez la colère, elle retombe dans les méandres de ma poitrine. Je me sens bête et décide d'apaiser les choses à mon tour. « Nan, t'inquiètes pas Carter. C'-c'est moi. L'alcool a détruit ma vie et ma carrière. Alors le sujet est devenu un peu sensible depuis ce temps. Mais tu pouvais pas savoir. » terminé-je en lui souriant.
J'attire à mes lèvres ma cigarette sur laquelle j'inspire une longue bouffée d'air vicié. Comme si cela pouvait calmer d'autant plus mon air maussade. Je me sens un peu con sérieux. Il ne voulait sans pas mal faire. Et on ne se connaît pas encore assez pour repérer les sujets tabous à ne pas évoquer ensemble.
Puis arrive la perspective d'aller boire un café tout les deux, tranquilles, entre couilles quoi. Mais la belle compte peut-être encore sur moi pour l'aider à débarrasser les étales? J'ouvre la bouche pour essuyer d'un revers de main son offre généreuse, mais je me ravise. Je lève mes fesses du muret sur lequel j'étais assis et me tourne vers l'avocat. « Ma foi, je pense que j'en aurais bien besoin. Je vais prévenir la miss que je reviens d'ici peu pour débarrasser et nettoyer derrière elle. Je ne vais pas la laisser seule pour tout reprendre... » J'aime à penser que malgré les erreurs de mon passé, je reste un gentleman. Abandonner Mab comme je l'ai fait entache sans doute mes armoiries de preux chevalier, mais j'essaie depuis lors de ne plus fauter. Du moins... par un comportement déplacé. Parc'que fauter, ça a encore pu arriver.

Revenu auprès de l'endimanché, je glisse mes mains dans les poches de ma veste et lui demande s'il a une préférence pour le café où nous rendre. « Je te laisse choisir l'endroit? Tu connais mieux que moi le coin et tu dois avoir tes habitudes... » Le centre-ville tout autour de nous n'est pas bien grand et nous n'aurons pas à aller bien loin pour nous installer. Mais sur les quelques mètres à parcourir je trouve le temps de lui demander comme il va. Réellement. Sentimentalement. Parce que la dernière fois qu'on avait échangé sur le sujet, la conversation avait été coupée par l'arrivée d'une de ses conquêtes.