nessun dorma (helly)

Pensez-vous être quelqu'un de bien ? : On aurait tendance à dire qu'il y a chez Helly comme une aura bienfaisante et positive. Helly, par sa chaleur, son sourire et son rire communicatif, vous enveloppe naturellement dans son halo et sa lumière. Une main toujours prête à secourir les autres, elle se croit capable de venir en aide à tout le monde. Son bien-être passe toujours en dernier. Quelqu'un de bien, oui, c'est ainsi que l'on peut parfaitement la qualifier.  Ta dernière bonne action ? : Son école de musique représente parfaitement sa personnalité. En donnant accès à une école de musique peu regardante sur le statut social de ses élèves (comme cela pouvait être le cas pour elle par le passé dans le domaine de la musique classique), elle s'ouvre toujours plus au monde, défend toujours, par principe, l'égalité, la tolérance, l'ouverture d’esprit. L'ouverture de son école quelques années en arrière est, par principe, sa dernière bonne action mise-en-oeuvre. Des tarifs adaptés à chaque portefeuille, des cours flexibles, des professeurs loin des stricts conservatoires. Dans son académie, le seul mot d'ordre est de s'amuser, de prendre plaisir à apprendre la musique, tout cela sans aucune pression, sans se ruiner. Tes plus gros pêchés ? : Aux yeux de ses parents, mettre fin à sa carrière et revenir vivre à Bettelheim. Erreur grossière, foutu tempérament, elle n'en fait qu'à sa tête, quelle stupidité, sottises, non-sens : les reproches fusent, l’accablent. Plus récemment, cette décision de mettre Gary à la porte de leur appartement. Elle se sent coupable, profondément mal, supporte mal la situation. Mais cette situation est inévitable... pourvu qu'elle ne soit que temporaire.

Elle redoutait cette situation, inévitable, tournant incontournable de son existence. Se retrouver là, au bout de la grande table de la salle à manger, en plein coeur du manoir des Nybel. Faire face à ce “jury” désapprobateur, redoutable, impitoyable. Faire face, encore une fois, à cette fichue déception, parfaitement lisible sur les rides des visages des séxagénaires. La scène est quasi-identique à la précédente. C’est presque l’heure du dîner, son père a le dos tourné, son corps penché sur les braises de la cheminée. Sa mère lui fait face, l’ausculte d’un oeil attentif, ne sourcille pas, ne semble pas même en capacité d’inspirer ou d'expirer. Helly serre ses doigts contre les plis de sa robe, se mordille la lèvre jusqu’à la faire saigner. Si cette situation lui paraît si familière, c’est parce qu’elle n’en n’est plus à sa première fois. Annoncer à ses parents une évolution, un nouveau souffle, un changement important dans sa carrière ou dans sa vie : un élan de courage forcé, soldé comme à chaque fois par de nouvelles déceptions. La dernière fois, elle annonçait mettre fin à sa carrière d’artiste lyrique.. Elle racontait ses mésaventures, ses difficultés à intégrer ce monde élitiste, regardant, méprisant. Elle expliquait comment, petit à petit, elle avait sombré dans un burnout qui lui paraissait jusqu’alors incurable. Sans se montrer accusatrice, sans remettre la faute sur ses parents, malgré la pression, les exigences, les contraintes qu’ils lui imposaient depuis des années. Elle s’adonnait à un interminable monologue qui prenait racine, d’abord, dans ses études au Conservatoire National de Musique à Paris. Des études longues, contraignantes, difficiles. Des reproches douloureux par les étudiants ou les membres du conservatoire : sur son talent comme sur son apparence. Trop grosse ou pas assez, trop belle ou pas assez, trop passionnée ou trop effacée. Puis vint ses quelques mois en Italie, ses premiers pas sur scène, cantatrice à la voix céleste. Travail acharné qui se poursuit ensuite à Tokyo  =puis se termine aux Etats-Unis. Entre rivalités, prestige, dumping social, les fanatiques du noble art, les critiques, Helly sombre petit à petit dans une dépression. Quand elle termina enfin son monologue par des excuses, de sincères excuses, elle fit face à une ribambelle de reproches, accablants, lourds de sens. Elle se retrouva confronté à l’incompétence parentale de ses parents adoptifs, à ce sérieux manque de compassion, d'empathie, de soutient.

Le souvenir de cette confrontation avec ses parents est interrompu par la voix rocailleuse de la matriarche qui ricoche, un instant, contre les murs de l’interminable salle à manger : “Tu as pris du poids.” Helly ne bronche pas, reste sourde à ces propos parfaitement grotesques. Son regard se porte à côté d’elle, sur l’objet, l’unique objet de sa visite : Elmy, son enfant, à peine âgée de quelques mois, profondément endormie dans sa poussette.  “Et le père ? Un homme de bonne famille, j’ose espérer... une famille que nous connaissons ?”  son regard se porte à nouveau sur sa mère. Elle se mordille l’intérieur de la joue, retient sa colère. Helly lâche les plis de sa robe avant de se relever, pousse la chaise contre la table avant de venir serrer ses doigts contre les poignées de la poussette. “Il s’agissait-là de ma dernière erreur. Si vous apprendre la naissance de votre petite-fille ne vous inspire ni bonheur ni joie, nous n’avons visiblement plus rien à faire là. ” ses yeux se portent sur le visage de la petite fille endormie. “Et au risque de vous décevoir encore davantage, je préfère éviter à partir d’aujourd’hui de me retrouver en votre présence. Cette indifférence… cette arrogance… vous n'arrivez plus à me surprendre.  “ Le langage qui se veut plus ou moins “élégant”, qui s'adapte naturellement à la présence de ses parents. La voilà qui quitte le manoir, se débarrassant des quelques larmes qui faiblissent sous ses yeux.

La nuit tombe sur la ville, Helly accélère le pas, de plus en plus vite. Dix-neuf heures, déjà un appel en absence, un appel de Gary. Il lui tarde de le voir, de le revoir, de se blottir contre lui, de sentir sa chaleur, sa douceur, d'oublier cet effroyable moment.  Si lui s'empêche d'avouer la vérité à ses enfants, elle, préfère le protéger de la sévérité démesurée de ses parents. Elle se sent mal, terriblement honteuse. Sa visite au domaine familial, elle la cachera à Gary. Quelle idée, quel faux espoir que celui de croire que l'arrivée d'un enfant, ravirait l'amour et la fierté de ses parents... A l'approche de l'appartement, s'en suit quelques messages. L'un de la part de son frère puis l'autre de sa sœur. Les nouvelles de sa visite au domaine, déjà partagées. Des messages de soutien, témoignage de toute leur affection. Helly sonne à la porte d'entrée de son appartement, la porte s'ouvre, Gary fait son apparition. Un sourire sur les lèvres, une seule pensée lui traverse l’esprit, celle d'être si bien entourée, d'être aimée. Quoi que ses parents lui reproche, seul lui importe le bonheur de Gary, d'Elmy, de son frère et de sa sœur et celui de ses amis.